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    Rite de passage pour lecteur averti, Guerre et Paix, paru entre 1865 et 1869 dans un périodique russe, fait figure de monument de la littérature mondiale. Son auteur, Léon Tolstoï, est l’un des géants de l’âge d’or de la littérature russe, commencé avec Pouchkine, son cousin éloigné, en 1820 et achevé en 1880 à la mort de Dostoïevski. Sa richesse psychologique et le réalisme de ses détails classe Guerre et Paix parmi les romans majeurs de l’histoire de la littérature.

    Le destin de deux familles russes au début du XIXe siècle, les Rostov et les Bezoukhov, lors des campagnes militaires contre Napoléon a engendré un nouveau genre fictionnel, en cassant de nombreux codes romanesques de l’époque.

    À sa sortie, bien que de nombreux critiques ne le considèrent pas comme un roman, Guerre et Paix rencontre un immense succès, à la grande surprise de son auteur, convaincu que son œuvre passerait inaperçue.


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    Jean-Philippe Toussaint excelle tout d'abord dans son style, par ses scènes simplement brillantes et ses images d'ambiance. Dans des phrases d'une page, il évoque devant nos yeux comment le narrateur à la première personne, nostalgique parce que c'est "fini" avec Marie, visite la piscine totalement déserte de son hôtel au milieu de la nuit et comment il regarde ensuite à travers la verrière dans la nuit noire sans fin et à travers les grandes fenêtres devant lui dans la métropole déserte de Tokyo. Les deux scènes sont vraiment magnifiquement décrites sur le plan cinématographique, dans toute leur immensité .

    Toussaint réalise avec des mots ce que le film "Perdu dans la traduction" réalise avec des images : vous regardez l'immense Tokyo nocturne, et vous êtes pénétré jusqu'au plus profond de vous-même par la perte que vous, en tant qu'occidental, pouvez ressentir dans cette ville. Et on se rend compte de plus en plus que l'absence d'âme, l'aliénation et le désarroi si cinématographiquement esquissés reflètent aussi précisément ce que ressent le narrateur à la première personne.

    Toussaint le fait tout le temps : ce que ressent le protagoniste est toujours évoqué à travers les descriptions filmiques d'un ciel nocturne vide, d'un jour gris et pluvieux sans fin, d'une ville totalement inconnue où chacun parle une langue différente et incompréhensible. Ainsi, chaque fois que le narrateur à la première personne nous évoque une scène qui est tout à fait convaincante comme image cinématographique aliénante traduite en mots, et qui est en même temps indirectement et par le biais de détours une représentation des mouvements dans son esprit.

     

    Les deux derniers romans, en particulier, sont pleins de scènes que l'auteur invente clairement au fur et à mesure : magnifiquement décrites, pleines de détails réalistes, très convaincantes, mais le personnage principal n'était pas là et a donc dû l'inventer. Une description longue et extrêmement passionnante, par exemple de la façon dont un cheval s'échappe dans un aéroport en présence de Marie, ou une description captivante de la crise cardiaque d'un des amants de Marie lors d'une nuit d'amour avec Marie, ou encore une description passionnante de la façon dont Marie, en tant que parangon d'élégance et de deuil, suit le cortège funèbre de son père décédé à cheval.

    Des scènes de La Vérité sur Marie qui, en elles-mêmes, sont tout à fait convaincantes grâce à l'écriture de Toussaint. Mais leur véritable pouvoir est qu'ils sont entre les mains de l'imagination du narrateur à la première personne, ou plutôt : des tentatives ultimes du narrateur à la première personne pour être capable d'imaginer des expériences de Marie auxquelles il n'a pas assisté lui-même. Pour que, grâce à son imagination, il puisse encore être présent sur des scènes de la vie de Marie où, en réalité, il était absent. De sorte que, grâce à son imagination, il est encore un peu lié à Marie, surtout aux nombreux moments où ils sont séparés par une brèche. Cela donne à ces descriptions une intensité supplémentaire. Les passages concernant le cheval en fuite, par exemple, étaient déjà extrêmement tendus : la fureur et la peur déraisonnables de cet animal et la panique de ses compagnons entraînent déjà violemment le lecteur. Mais entre les lignes, on peut aussi sentir la tristesse du narrateur, qui ne pouvait pas être là lui-même et surtout ne pouvait pas être avec Marie.

    Et toute la fureur du cheval en fuite est peut-être aussi une image de l'angoisse et du désespoir que ressent le narrateur.

     


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    Son oeuvre le prouve, Patrick Rambaud a le don de redonner vie à l’histoire. Avec ‘Le Chat botté’, c’est à un Paris post-révolutionnaire et pré empire qu’il nous ramène avec un sens du détail et de la précision qui laisse admiratif. L’auteur est méticuleux, on apprécie le travail de fourmi qu’a dû demander la restitution de la géographie de la capitale à la fin du XVIIIe siècle. Il nous promène d’auberge en hôtel particulier en passant par des rues qui reprennent littéralement leurs couleurs d’antan. Au son des canons et de la carmagnole, les figures de la Convention s’échinent à sauver leurs têtes et à maintenir un pouvoir obtenu par le sang. Les muscadins, sortes de jeunes dandys multi révoltés, retournent leurs habits de soie chamarrée au gré de leurs lubies.


    La plume est alerte, l’ouvrage est dense, riche en événements et en rencontres avec des hommes qui ont façonné l’histoire, à coup de stratégies, de mensonges et de répressions. Il y a du Dumas dans ce Rambaud, un peu classique, plus politique et moins "cape et épée", mais tout aussi trépident. Un livre qui se lit d’une traite, le temps d’un voyage dans le passé.


    Presque perdu au milieu de ce bouillonnement, le jeune Nabulione Buonaparte - le chat botté - peine un peu à percer et son ascension reste plutôt discrète. Qu’importe, si le roman semble hésiter sur son héros, il demeure néanmoins une oeuvre épique, construite avec panache et passion. Une passion pour l’histoire que Patrick Rambaud n’a de cesse de nous faire partager, à notre grand plaisir.

     

    Editeur : Le Livre de Poche
    Publication :1/9/2008

     

     

     


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    Un nouveau Amélie Nothomb, c'est comme une nouvelle friandise à la boulangerie : on la veut tout de suite, mais on ne sait pas si elle sera succulente ou d'un arôme artificiel si prononcé qu'on le recrachera.

     

    La couverture nous montre une Amélie stupéfaite, quasi inexpressive, comme le personnage de son roman, Urbain, qui se fait engager, du jour au lendemain comme tueur à gage, alors qu'il se retrouvait "sans sexe et sans emploi : beaucoup d'amputations pour un seul homme". Confronté à la mort, il n'en saisira qu'une dimension hédoniste, allant même jusqu'à la masturbation pour assouvir son désir funeste.

     

    On pourra employer tous les jeux de mots que l'on veut -les médias s'en sont donnés à coeur joie !-, du style "l'hirondelle ne prend pas son envol", "ça sent le réchauffé"...Il n'en reste pas moins que ce roman est magistral...

     

    Une certaine dimension anticipatrice anime cet ouvrage : l'assassinat récent d'Anna Politkovskaïa donne entièrement raison à Amélie, quand elle décrit le milieu des tueurs à gage comme simpliste "-c'est un cinéaste -voilà autre chose. Pourquoi liquider un cinéaste ? -le chef a pas aimé son film". On tue parce que la liberté n'existe plus. Et Amélie l'a bien compris. Elle décrit le monde contemporain comme amoral, immoral même. Où chacun exprime sa domination sur l'autre en jouissant de l'écraser.

     

    Comme à son habitude, les premières pages sont fabuleuses, nous faisant penser un instant à cosmétique de l'ennemi. "en vérité, on passe son temps à lutter contre la terreur du vivant. On s'invente des définitions pour y échapper : je m'appelle machin, je bosse chez chose, mon métier consiste à faire ci et ça".

     

    Amélie reste fidèle à elle-même : l'amour-répulsion-fascination est le fondement du roman. Mais l'architecture a changé. Sa vieille recette se trouve épicée d'un cynisme morbide, digne de son précédent livre Acide sulfurique.

     

    A l'année prochaine Amélie !

     

    Journal d'Hirondelle, A.Nothomb,Albin Michel, 144 pages, 14,50 E, 2006

     

     


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    Dans l’esprit des ‘Mille et une nuits’ et autres légendes orientales, ‘L’Enchanteresse de Florence’ lève le voile sur l’épopée fantastique et sulfureuse d’un bel aventurier. Insolent, mystérieux, emberlificoteur drapé dans son grotesque manteau d’Arlequin, ce "prince de l’amour" manie la langue comme une bague à poison et distille son venin à loisir. Habile conteur, Salman Rushdie l’est aussi. Entre Orient et Occident, il échafaude une fresque clinquante et foisonnante, parfois vulgaire, bavarde par nécessité, et brosse sans complaisance le portrait de deux civilisations lointaines.

    Gorgé de détail jusqu’à l’excès, exubérant, ‘L’Enchanteresse de Florence’ sonne comme une grande farce orchestrée par l’auteur pour se divertir, un prétexte à dispenser des leçons de philosophie aussi. Difficile de ne pas se laisser distancer dans cette course folle à travers les continents, de ne pas s’empêtrer dans cette galerie de personnalités extravagantes. Pourtant, peu à peu, les événements se font écho, les destinées confluent vers un dénouement commun, dévoilant le plan méthodique et documenté suivi par Salman Rushdie. L’auteur des ‘Versets sataniques’ signe une fable sensuelle, sans doute pompeuse, mais portée par un puissant souffle romanesque.

     

    Editeur : Plon
    Publication :2/10/2008