• Avis sur le roman : La Vérité sur Marie de Jean-Philippe Toussaint

     

    Jean-Philippe Toussaint excelle tout d'abord dans son style, par ses scènes simplement brillantes et ses images d'ambiance. Dans des phrases d'une page, il évoque devant nos yeux comment le narrateur à la première personne, nostalgique parce que c'est "fini" avec Marie, visite la piscine totalement déserte de son hôtel au milieu de la nuit et comment il regarde ensuite à travers la verrière dans la nuit noire sans fin et à travers les grandes fenêtres devant lui dans la métropole déserte de Tokyo. Les deux scènes sont vraiment magnifiquement décrites sur le plan cinématographique, dans toute leur immensité .

    Toussaint réalise avec des mots ce que le film "Perdu dans la traduction" réalise avec des images : vous regardez l'immense Tokyo nocturne, et vous êtes pénétré jusqu'au plus profond de vous-même par la perte que vous, en tant qu'occidental, pouvez ressentir dans cette ville. Et on se rend compte de plus en plus que l'absence d'âme, l'aliénation et le désarroi si cinématographiquement esquissés reflètent aussi précisément ce que ressent le narrateur à la première personne.

    Toussaint le fait tout le temps : ce que ressent le protagoniste est toujours évoqué à travers les descriptions filmiques d'un ciel nocturne vide, d'un jour gris et pluvieux sans fin, d'une ville totalement inconnue où chacun parle une langue différente et incompréhensible. Ainsi, chaque fois que le narrateur à la première personne nous évoque une scène qui est tout à fait convaincante comme image cinématographique aliénante traduite en mots, et qui est en même temps indirectement et par le biais de détours une représentation des mouvements dans son esprit.

     

    Les deux derniers romans, en particulier, sont pleins de scènes que l'auteur invente clairement au fur et à mesure : magnifiquement décrites, pleines de détails réalistes, très convaincantes, mais le personnage principal n'était pas là et a donc dû l'inventer. Une description longue et extrêmement passionnante, par exemple de la façon dont un cheval s'échappe dans un aéroport en présence de Marie, ou une description captivante de la crise cardiaque d'un des amants de Marie lors d'une nuit d'amour avec Marie, ou encore une description passionnante de la façon dont Marie, en tant que parangon d'élégance et de deuil, suit le cortège funèbre de son père décédé à cheval.

    Des scènes de La Vérité sur Marie qui, en elles-mêmes, sont tout à fait convaincantes grâce à l'écriture de Toussaint. Mais leur véritable pouvoir est qu'ils sont entre les mains de l'imagination du narrateur à la première personne, ou plutôt : des tentatives ultimes du narrateur à la première personne pour être capable d'imaginer des expériences de Marie auxquelles il n'a pas assisté lui-même. Pour que, grâce à son imagination, il puisse encore être présent sur des scènes de la vie de Marie où, en réalité, il était absent. De sorte que, grâce à son imagination, il est encore un peu lié à Marie, surtout aux nombreux moments où ils sont séparés par une brèche. Cela donne à ces descriptions une intensité supplémentaire. Les passages concernant le cheval en fuite, par exemple, étaient déjà extrêmement tendus : la fureur et la peur déraisonnables de cet animal et la panique de ses compagnons entraînent déjà violemment le lecteur. Mais entre les lignes, on peut aussi sentir la tristesse du narrateur, qui ne pouvait pas être là lui-même et surtout ne pouvait pas être avec Marie.

    Et toute la fureur du cheval en fuite est peut-être aussi une image de l'angoisse et du désespoir que ressent le narrateur.